Suppression programmée du RASED
Un saccage incommensurable »
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> Message d’André OUZOULIAS
> à Gérard TOUPIOL, président de la FNAME,
> Lundi 29 septembre 2008
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> Mon cher Gérard,
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J'imagine que vous êtes assommés par les dernières nouvelles
(suppression de près de la moitié des postes d'enseignants spécialisés
en RASED). Luc Ferry avait beau l’avoir annoncé, nous avions beau
redouter depuis quelques jours que de telles coupes soient inscrites
dès le prochain budget, je reste sans voix face à l'ampleur du
fauchage. De plus, il faut maintenant considérer comme probable que le
gouvernement ne s’arrêtera pas au milieu du gué et qu’il a déjà décidé
de supprimer l'autre moitié des postes de RASED dans le budget 2010.
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C'est un saccage incommensurable : chaque maître spécialisé de RASED
représente un trésor de compétences, un appui irremplaçable pour les
maîtres et les équipes d'école. Je pense à Ghislaine, à Martine, à
Françoise, à Magali… des maîtres E que j'ai côtoyés au cours de ces
dernières années et qui m'ont tant appris et j'enrage ! Je pense à tous
ceux qui, comme elles, ont acquis une authentique expertise
diagnostique et pédagogique sur la grande difficulté scolaire, après
des années d'expérience dans le travail auprès d'élèves qui ont des
difficultés graves de toutes sortes dans les apprentissages scolaires.
Et j'enrage ! Dans les écoles primaires aujourd'hui, personne ou
presque ne sait vraiment faire ce travail.
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> Si on
considère que chacun des 7 000 maîtres E et G de RASED sauve chaque
année du désastre, ne serait-ce que 10 gamins de cycle 2, c'est 70 000
enfants qui, au lieu d'être soustraits à l'échec scolaire, seront
bientôt pratiquement abandonnés à leur sort. Malgré toute la bonne
volonté des enseignants (et elle est grande !), ce n'est évidemment pas
deux fois 50 minutes de « soutien » par semaine qui peuvent remplacer
une prise en charge spécialisée E ou G, éventuellement au sein même de
la classe. Comment croire que le gouvernement souhaite vraiment diviser
par 3 le nombre d'élèves en grande difficulté face à l'écrit, s'il raye
ainsi d'un trait de plume, sans aucun scrupule, un dispositif dont
bénéficient les élèves les plus en difficulté ?
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> Et
quelle économie fera-t-on finalement ainsi dans les divers budgets de
l'État, si demain, ces 70 000 élèves se retrouvent aux limites de
l'analphabétisme ? Combien de postes faudra-t-il créer en SEGPA dans
quelques années ? Combien de classes-relais ? Et dans vingt ans,
combien de pauvres, que l'on qualifiera d’« inemployables » et pour
lesquels on débattra pour savoir s'il vaut mieux un RMI, un RSA ou une
quelconque autre allocation-pauvreté ? Et dans trente ans, combien
d'enfants de ces personnes qui, à leur tour… ?
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> Victor
Hugo disait : « Ouvrez des écoles, fermez des prisons ». N'est-il pas
curieux de constater que, dans le projet de budget 2009, on supprime
des milliers de postes d’enseignants, tandis que le nombre de postes de
gardiens de prisons est l’un des rares à augmenter fortement ?
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Xavier Darcos pense peut-être que, du fait que les effectifs moyens par
classe ne monteront pas significativement et qu'il offre 2 h de «
soutien » aux « élèves-en-difficulté », les parents ne s’apercevront de
rien et ne diront rien. Mais pour cette fois, je crois qu'il se trompe.
Les parents peuvent comprendre qu'il y a là une escroquerie. Si on leur
explique qu'en supprimant les psy, les E et les G des RASED, le
ministère prend, dans le domaine de l'éducation, une mesure qui
reviendrait, dans celui de la santé, à supprimer les spécialistes
(ophtalmo, ORL, gastro, etc.) tout en proclamant que les généralistes
sauront répondre aux besoins des patients, ils ne laisseront pas faire.
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> Les parents des élèves en situation de handicap
doivent aussi savoir que la fin des RASED sera une entrave à
l’intégration dans bien des écoles, là où des élèves sont intégrés dans
des classes ordinaires et où ils bénéficiaient de l’aide d’un maître E
ou G au titre de la difficulté scolaire. Ils ne laisseront pas faire.
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Le ministère dit : les maîtres spécialisés « pourront, au sein des
écoles et dans le cadre de la nouvelle organisation de la semaine
scolaire, traiter au mieux et en continu la difficulté scolaire ». Il
ajoute qu’« ils garderont leur indemnité spéciale ». Je crains qu’il
veuille rouvrir 3 000 classes d’adaptation à l’année, où l'on mettra
les élèves les plus en difficulté, encadrés par les maîtres E
sédentarisés. Même chose l’an prochain pour 3 000 autres classes. Pour
l’instant, il y a des obstacles juridiques à une telle réforme. Mais
aussitôt que la loi sur les EPEP sera adoptée (elle sera débattue en
janvier), cela pourrait devenir licite, la classe d’adaptation d’un
EPEP pouvant vraisemblablement accueillir des élèves qui relèvent
actuellement de plusieurs secteurs scolaires.
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> Un tel
projet n’aurait d’autre avantage que de faire des économies à court
terme. Pour le reste, il serait anachronique et paradoxal : au moment
où l’école fait un effort considérable pour intégrer les enfants en
situations de handicap, nous serions le seul pays d’Europe à créer des
dispositifs pour externaliser le traitement de la difficulté. Y
aura-t-il quelqu’un, au ministère, pour démentir cette tentation d’un
retour déguisé aux classes de perfectionnement des années 1970 ?
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Un observateur impartial aurait quand même peine à croire que le
gouvernement a pris cette décision uniquement pour des raisons
budgétaires. N’y a-t-il pas d’autres raisons ? Le ministère a-t-il fait
réaliser une évaluation du travail des RASED ? Les personnels des
écoles, spécialisés ou non, ont besoin de le savoir. Les parents
d’élèves et les citoyens doivent également être éclairés sur ce point,
car il s’agit à la fois de l’avenir de dizaines de milliers d’enfants
et de la gestion des deniers publics.
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> Quoi qu’il en
soit, on se pose inévitablement beaucoup d’autres questions : À quoi
ressemble ce pilotage de l’institution scolaire, quand on efface ainsi
quarante ans d’histoire de l’adaptation scolaire sans aucun débat
préalable ? Au moins, le ministre précédent, pour réformer tel ou tel
volet de la politique scolaire, commençait-il par demander un rapport à
des IG ou à un universitaire ou par réunir des spécialistes lors d’une
journée d’études… Que dire de cette façon de bouleverser ainsi l’école,
de chambouler l’approche de la grande difficulté scolaire sans
consulter ni les personnels, ni l’Inspection Générale, ni les
spécialistes, ni même les instances officielles comme le Haut Conseil à
l’Éducation ? Quelles autres professions accepteraient d’être ainsi
méprisées ? Cette façon d’exiger des personnels qu’ils obéissent sans
comprendre devrait-elle être considérée comme le modèle éducatif de ce
ministère ?
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> Nous avons quelques mois pour susciter
un mouvement ample et uni parmi les enseignants et les parents : il
s’agit de préserver l’un des moyens les plus efficaces que nous ayons
pour travailler à la réussite de tous les enfants. La FNAME peut
compter sur mon soutien… et sur mon aide.
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> Amicalement et solidairement.
> Bien à toi,
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> André OUZOULIAS
> professeur à l'IUFM de Versailles-UCP (Université de Cergy-Pontoise),
> Département PEPSSE (Philosophie, épistémologie, psychologie, sociologie et sciences de l'éducation)